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L'actualité du droit public et des collectivités territoriales

La constitutionnalité de l'écotaxe en question

21 Octobre 2014

On a appris, il y a quelque jours, que Ségolène Royal, Ministre de l'écologie, voudrait remettre en cause le contrat de partenariat passé avec la société Ecomouv au motif tiré de son inconstitutionnalité. En effet, pour la Ministre, une personne privée ne pourrait se voir confier une mission de collecte d'une taxe, mission qui incomberait seulement à l'Etat.

En pur droit, cet argument n'est pas dénué de pertinence puisque il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'il est interdit de déléguer à une personne privée des tâches inhérentes à l'exercice par l’État de ses missions de souveraineté (décisions 2002-461 DC, 2003-467 DC et 2003-484 DC).

A par exemple été jugé inconstitutionnelle la délégation à une personne privée d'une mission de surveillance générale de la voie publique (décision 2011-625 DC du 10 mars 2011, LOPPSI).

De même, le Conseil constitutionnel avait estimé à propos de la CSG que le recouvrement d'une imposition contribuant aux charges de la Nation, conformément à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne pouvait être effectué que par des organismes placés sous l'autorité de l’État ou de son contrôle. Il avait cependant validé l'externalisation du recouvrement de la CSG à une personne privée chargée d'une mission de service public, placée sous le contrôle de l’État (décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990).

On peut donc légitimement s'interroger sur la constitutionnalité du dispositif, qui sera analysée plus loin.

Quel est l'intérêt d'opposer l'inconstitutionnalité du contrat de partenariat ?

L'intérêt majeur est de permettre l'annulation du contrat par le juge administratif, ce qui mettrait fin aux engagements contractuels de l’État vis-à-vis d'Ecomouv, notamment en faisant obstacle au jeu de la clause de résiliation qui prévoirait une indemnité d'un milliard d'euros en faveur du prestataire, dont 800 millions d'euros à régler immédiatement.

En effet, même si une personne publique, notamment l’État, peut toujours résilier un contrat administratif tel que le contrat de partenariat conclu avec Ecomouv', elle doit pour cela justifier d'un motif d'intérêt général et indemniser le préjudice résultant de cette résiliation, à savoir les pertes subies et le manque à gagner. Apparemment, cette indemnité aurait été évaluée à un milliard d'euros dans le contrat.

Or, l'annulation du contrat de partenariat ferait obstacle au jeu de cette clause contractuelle. Pour obtenir cette annulation, l’État pourrait exercer un recours dit "de plein contentieux" devant le tribunal administratif afin de remettre en cause la validité du contrat, sur le fondement de son inconstitutionnalité. Si le juge retenait ce motif, il serait forcé d'annuler le contrat en raison de son illicéité (en vertu de la jurisprudence "Béziers I"), s'il considérait toutefois les stipulations sur la collecte de l'écotaxe par Ecomouv' indivisibles du reste du contrat.

Qu'en est-il de la constitutionnalité de la mission confiée à la société Ecomouv', chargée de réaliser les prestations de collecte de l'écotaxe?

Le Conseil d'Etat a, dans un avis de sa section des finances du 11 décembre 2007, considéré qu'aucun principe de valeur constitutionnelle ne s’oppose à ce que le législateur confie à un prestataire privé la mission de réaliser les prestations de collecte des éléments d’assiette, de liquidation et de recouvrement de l'écotaxe. Cependant, c'est sous la réserve que cet organisme soit placé sous le contrôle de l’Etat, que soient constituées des garanties de nature à assurer le reversement intégral des sommes facturées et que l’exécution du service public soit assurée dans le respect des règles comptables appropriées. Le Conseil d'Etat ajoute que la loi et les règlements devront définir et mettre en oeuvre un régime et des garanties permettant de lever cette réserve.

C'est ainsi que loi de finances pour 2009 a autorisé l'Etat à confier la collecte de la taxe à un prestataire privé. Cette loi n'a pas été déférée au Conseil constitutionnel.

Le recours a-t-il des chances de succès?

Le principe-même de recourir à un prestataire privé pour collecter l'écotaxe a été autorisé par la loi de finances pour 2009. Le juge administratif saisi aurait les mains liées et ne pourrait annuler le contrat, sauf si la constitutionnalité de cette loi et du dispositif de l'écotaxe était contestée par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Cette voie de droit serait ouverte dans la mesure où la loi de finances pour 2009 n'a pas été déférée au Conseil constitutionnel. Toutefois, seuls sont invocables en QPC les droits et libertés que la Constitution garantit.

Or, le principe selon lequel une mission régalienne ne peut être confiée à un opérateur privé est-il au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit?

Cette hypothèse ne s'est pas encore posée. Cependant, le Conseil constitutionnel a par exemple jugé que l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC), qui pose le principe que les citoyens ont le droit de constater la nécessité de la contribution publique et doivent y consentir, n'était pas invocable (décision 2010-5 QPC du 18 juin 2010).

Le principe selon lequel une mission régalienne ne peut être confiée à un opérateur privé peut se réclamer de l'article 34 de la Constitution, donnant compétence au législateur dans un certain nombre de matière, de l'article 3 de la Constitution, posant le principe de la souveraineté nationale et de l'article 12 de la DDHC, disposant que "la garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique". Plus spécifiquement, en matière d'impôt, le principe pourrait se rattacher à l'article 13 de la DDHC, précisant que "pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable" (décision précitée du 28 décembre 1990).

Parmi ces dispositions, seul l'article 12 de la DDHC pourrait se rattacher à un droit garanti par la Constitution, étant donné que de la force publique découle la garantie des droits.

Pour autant, il faudra encore se prononcer sur le point de savoir si la collecte d'une taxe se rattache à la force publique. De la réponse à cette question pourrait dépendre le sort de l'écotaxe.

En cas de succès du recours, Ecomouv' peut-elle prétendre à une quelconque indemnité?

Si le contrat était annulé, Ecomouv' n'aurait plus le droit à aucune indemnisation sur le fondement du contrat, notamment du milliard d'euros précité.

Cependant, Ecomouv' aurait droit d'une part au remboursement des dépenses qui ont été utiles à l'Etat, sur le fondement de l'enrichissement sans cause (Conseil d'Etat, 19 avril 1974, Société Entreprises Louis Segrette, req. n° 82518 et 82553). Cette indemnité risque d'être fort limitée étant donné que la taxe n'a pas été mise en oeuvre, aucun profit n'en étant résulté pour l'Etat.

D'autre part, elle pourrait solliciter la réparation des dépenses exposées par elle et d'une partie du bénéfice auquel elle pouvait prétendre en arguant de la faute de l'Etat qui a conclu un contrat nul (Conseil d'Etat, 10 avril 2008, Société Decaux, req. n° 244950, 284439 et 284607). Dans cette situation, les torts seraient probablement partagés, le juge estimant le plus souvent que la société ne pouvait ignorer la nullité du contrat.

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